13 novembre 1995

Couple et légalité

"L'union durable de l'homme et de la femme est une constante de l'espèce humaine, qui obéit à une loi de nécessité physique, sociale, morale, et affective." Ainsi commence l'article de l'Encyclopedia Universalis traitant du droit du mariage, troisième volet d'un triptyque consacré au couple et au mariage (les deux premiers traitant les aspects philosophique et sociologique). Somme considérable, à l'instar de la place du couple dans la société humaine.
Certains exégètes n'ont-ils pas une lecture de la Genèse selon laquelle l'image de Dieu n'est pas l'individu, mais le couple ["Dieu créa l'Homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il le créa mâle et femelle"(Ge. I, 27)]. Le philosophe Jacques Maritain allant jusqu'à dire que "l'être humain n'est pleinement accompli que dans l'homme et la femme pris ensemble".

Mais, qu'est-ce que le couple?
La réponse semble être évidente: le couple, c'est le mariage, donc la procréation (et vice versa...). Ce sacré mariage que l'église catholique met sous le patronage de Saint Lien (ça ne s'invente pas!).
Mais le mariage est en crise. Aujourd'hui, dans notre pays, c'est près d'un enfant sur quatre qui naît hors mariage. Et, régulièrement, tel ou tel événement vient baliser la pente que dévale, paraît-il, cet archaïsme, au point que certains disent qu'il n'y aurait plus que les prêtres et les homosexuels pour vouloir se marier. Le fait est que le nombre de mariage ne cesse de diminuer, tandis que celui des divorces ne cesse d'augmenter, nous en serions à un pour trois.

Le couple est-il en train de mourir?
Voire! D'abord, environ la moitié des divorcés y retournent. Et puis, le couple n'est pas que le mariage; les médias s'en font écho quelquefois: c'est ainsi que l'on apprend, par exemple, qu'une municipalité délivre dorénavant des certificats de concubinage à des gens qui se trouvent complémentaires sans être de sexes différents; ça fait moderne, même si ça ne sert pas à grand-chose, et il y a toujours un effet d'annonce, même si ce n'est pas la première.
Plus récemment, nos voisins suisses viennent de s'élire un conseiller fédéral qui vit en concubinage, et ça, pour le coup, c'est une révolution.



Les mœurs évoluent, mais le vocabulaire a du mal à suivre.
Ainsi, si le mariage est "l'union légale d'un homme et d'une femme", le concubinage n'est que "l'état de gens qui couchent ensemble"; et si le terme de concubine désignait "une épouse de rang inférieur" avant de devenir "maîtresse, amante", celui de concubin, avant de devenir le masculin du précédent, se rapportait à "un compagnon de jeux homosexuels".
Et si les poètes préfèrent le terme d'union libre, celui de concubinage doit sa renommée au certificat du même nom, qui n'a par ailleurs aucune valeur, notamment juridique, au point que certaines mairies, et non des moindres, refusent de le délivrer, et ce plus par souci de charges administratives que de morale.

De fait, le droit français s'intéresse plus au conjoints qu'aux concubins; et, si les premiers sont reconnus comme ménages, les seconds ne le sont pas.
Et, tel l'arbre qui cache la forêt, les quelques avantages, notamment fiscaux, que cela leur procure, sont bien peu de chose comparés à la masse des complications de tous ordres auxquelles ils ont à faire face; le principe étant qu'ils ne sont pas considérés comme de la même famille (de toute façon, s'ils l'étaient, ils ne seraient pas mariables).
Et, de même que les concubins vivent comme des tiers, devant toujours contracter conjointement, lorsque l'un d'entre eux meurt, l'autre est alors un étranger, et cela ne va pas sans poser de problèmes, tant matériels que psychologiques, allant de la succession au droit au bail, en passant par les meubles et les souvenirs. Et lorsqu'un enfant arrive, il n'est évidemment pas légitime, avec tout ce que cela peut supposer, que ce soit au niveau de l'autorité parentale, du nom qu'il va porter, ou à celui des prestations familiales, du ménage de rattachement, etc...
Certes, il s'agit là des conséquences d'un choix personnel, et c'est à ceux qui l'ont fait de l'assumer. Mais l'enfant, lui, ne l'a pas fait, ce choix; or, comme l'écrit Marie-Odile Metral (Encyclopedia Universalis): "l'enfant a besoin d'un statut social, que, dans l'état actuel des choses, seule la juridiction du mariage est capable de conférer".

Finalement, que demandent les concubins?
Que la collectivité, c'est-à-dire "tous les autres", les reconnaissent en tant que couple, et non en tant qu'individus s'accompagnant momentanément; ils ont donc atteint un stade où leur couple n'est plus seulement un problème de vie privée, de liberté de mœurs.
Or, qu'est-ce que le mariage, sinon justement la procédure d'officialisation de l'existence du couple, la publication, outre des bans, de la volonté de ne plus être considérés comme deux, mais comme UN, ensemble, au sein de la société.
En résumé: "nous voulons être ensemble, mais cela ne regarde que nous, c'est notre vie privée", ou alors: "nous voulons être ensemble à la face du monde, être considérés par tous et par chacun comme un couple", et le mariage, ça sert à ça; j'allais dire, ça ne sert qu'à ça...



Mais tous ne peuvent pas se marier.
Si tous les couples existants étaient légitimables, la réponse disciplinaire serait bête, mais possible; mais ce n'est pas le cas. Les modes de vie et l'évolution des mœurs en ont décidé autrement.
L'évolution des mœurs, d'abord. L'homosexualité est devenue une réalité affichée. Les couples homosexuels, jadis clandestins, ou du moins discrets, se présentent aujourd'hui comme couples ordinaires, loyer commun, achats communs, parfois même enfant(s) à charge, et réclament ces droits octroyés par le mariage, auquel ils n'ont pas accès; car, pour eux, ce n'est pas une question de choix, mais de droit: l'homosexualité n'est pas interdite, or tout ce qui n'est pas interdit est permis, donc il ne reste plus qu'à la permettre vraiment, en mettant à leur disposition un moyen de reconnaissance des couples stables, sans distinction de composition, simplement en considérant que la stabilité peut exister en dehors du mariage, donc de la procréation.

L'évolution des modes de vie met également au jour une autre forme de stabilité.
Notre société s'urbanise, les campagnes se dépeuplent, exode rural, désertification... les campagnes vieillissent. Qui ne connaît pas, çà ou là, dans un village, deux frères, ou deux sœurs, ou un frère et une sœur, restés à la ferme avec leurs parents, puis après la mort de ceux-ci, exploitant ensemble, restant célibataires, prenant leur retraite ensemble, finissant leur vie comme ils l'ont vécue, c'est-à-dire ensemble.
Abstraction faite de la dimension sexuelle, ces gens-là ont objectivement une vie de couple. D'ailleurs, les jeunes qui les connaissent ne rient-ils pas de leurs rapports de "vieux couple". Ils partagent tout, depuis 70 ou 80 ans, et à la mort de l'un, l'autre, outre la solitude, risque d'être gravement spolié, devant parfois même payer pour pouvoir rester chez lui! Les fratries célibataires en milieu rural, comme on les appelle, ne sont pas forcément en voie de disparition.
La ville aussi voit apparaître ce type de situation. Vieillesse, retraite, veuvage, solitude... la pente est sévère. A deux, on supporte mieux. Là encore, le lien n'est pas sexuel; mais cette communauté de vie à deux, c'est bien un couple.

Et les problèmes des concubins, et les difficultés des homosexuels, viennent se poser à un nombre grandissant de nos concitoyens qui ont choisi de vivre à deux, ou que la vie a menés à vivre à deux, sans qu'il y ait forcément de lien sexuel, sans qu'il y ait forcément de lien de sang, sans qu'ils soient forcément de sexes différents, sans, en tout état de cause, que le but de leur union soit la procréation, mais sans exclure non plus la présence des enfants...
Or le mariage, finalement, c'est, comme dit le dictionnaire: "l'union légale de l'homme et de la femme", mais dans le souci principal de la continuation de l'espèce. Le couple a peut-être un souci moins pointu.
Couple et mariage ne sont pas forcément synonymes, la société actuelle le démontre tous les jours. Les règles de cette société devraient prendre ces réalités en compte, par exemple en instituant un contrat d'union civile attribuant à ceux qui le souscriraient l'essentiel des droits et des devoirs des couples mariés, sans préjuger de la nature de cette union.
Car la question à éviter, c'est: "pourquoi le couple?" Tous les physiciens vous le diront: un couple étant un ensemble de deux forces équivalentes, parallèles, mais de sens opposés, le système auquel on l'applique tend forcément à tourner en rond...

1 commentaire:

  1. NB: ce texte a été écrit en 1995, soit bien avant la loi sur le PACS, version très édulcorée de ce contrat d'union civile que nous souhaitions à l'époque...

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