19 juin 2006

Faut-il réformer la Loi de 1905 ?

Décembre 2005, centenaire de la Loi de 1905
dite Loi de séparation des églises et de l'État...

De quelle séparation s’agit-il ?
Peut-on toucher à la Loi de 1905 ?
Que reproche-t-on à la Loi de 1905 ?
La Loi de 1905 est-elle appliquée ? 


La Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 proclame notamment :
- (art. 10) « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi » ;
- (art. 6) « […] Tous les citoyens, étant égaux [aux] yeux [de la Loi], sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » ;
- (art. 5) « La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas » ;
- (art. 11) « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi » ;
- (etc.)…

Cette déclaration a été placée en préambule aux constitutions successives de la République française.

Le préambule de la constitution de 1946 affirme que :
- « tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés » ;
- « nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » ;
- « l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État » ;
- (etc.)…

Ce préambule de 46 figure également en préambule de la constitution de 1958.

Laquelle constitution de 58 pose :
- (art. 1er) « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la Loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ;
- l'art. 3 établi notamment « qu'aucune section du peuple […] ne peut s'attribuer l'exercice [de la souveraineté nationale] » (puisqu'elle « appartient au peuple »).

Le décor est posé :
- la France est laïque ;
- chacun est libre de croire en ce qu'il veut (ou de ne pas croire) ;
- toutes les religions y sont libres et équivalentes ;
- le citoyen existe par son lien à la République, pas par une appartenance à une communauté.

Et tout cela est établi sans référence à la Loi de 1905.
Ce n'est pas la Loi de 1905 qui établit la laïcité en France, ce n'est d'ailleurs pas son but.

Ce bloc constitutionnel est complété par toute une série de lois diverses et variées qui précisent certains points relatifs, par exemple, à la liberté d'expression, ou à la lutte contre les discriminations.
La Loi de 1905 n'est qu'une de ces nombreuses lois, certes plus célèbre que les autres qui, pourtant, fournissent plus les tribunaux.

L'objet de la Loi de 1905 n'est que le règlement des rapports entre les pouvoirs publics et les organisations religieuses… et pourtant ! Elle est aujourd'hui le symbole de la laïcité (dont elle ne parle pas), de la neutralité (mot qui n'y figure pas) et de la Séparation (que l'on prononce avec un grand « S »), bien que le terme ne figure en fait que dans le titre et non dans le texte de ladite loi…

Et de quelle séparation s'agit-il ?
Cette loi n'organise finalement que le passage d'un ancien système (le concordat) à un nouveau mode de relation entre les collectivités publiques et les églises rebaptisées « associations cultuelles »…
[Martin Luther disait : « les églises ne sont que des organisations humaines : elles peuvent se tromper. »]

Alors, peut-on toucher à la Loi de 1905 ?
Soyons sérieux : il s'agit d'une loi, pas des saintes écritures !
Une loi n'est pas un dogme. Et si un principe peut être intangible, le texte qui l'énonce doit pouvoir évoluer en fonction du contexte, ne serait-ce que pour réaffirmer son actualité.

La Loi du 9 décembre 1905 aurait déjà été modifiée, selon certaines sources peu cléricales (la Ligue ?), plus de 15 fois… en tout cas, 8 avérées :
- par la Loi du 13 avril 1908 ;
- par la Loi du 31 décembre 1913 ;
- par le décret-loi du 4 avril 1934 ;
- par la Loi du 7 juillet 1980 ;
- par le décret du 25 février 1994 ;
- par la Loi du 2 juillet 1998 ;
- par l'ordonnance du 15 juin 2000 (abrogeant l'article 30) ;
- par l'ordonnance du 28 juillet 2005 (article 19  finances).

Cependant, ces mises à jours, et quelques autres (comme celles issues de Vichy, qui sont toujours en vigueur, mais dont les références ne figurent pas au JORF) n'empêchent pas une grande partie du texte d'être obsolète : la quasi totalité du titre II, par exemple (10 articles sur 44, plus d'un tiers du texte, 9 pages sur 22), qui règle les dispositions transitoires, concerne tant les biens des anciens établissements publics des cultes et leur attribution, soit aux nouvelles associations cultuelles, soit aux collectivités publiques, selon les cas, que le délicat problème des salaires et des pensions des ministres des cultes en activité sous le concordat (tous morts aujourd'hui).

Certes, la Loi de 1905, dans ses deux premiers articles, pose des principes :
- (art.1) « La République assure la liberté de conscience ; elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées [par cette même loi] dans l'intérêt de l'ordre public »;
- (art2) « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ».

Ce même article 2 interdit aux collectivités publiques de budgéter des dépenses relatives à l'exercice des cultes… sauf s'il s'agit des aumôneries des écoles, collèges et lycées, des hospices et asiles, et des prisons (curieusement, le législateur a omis les aumôneries aux armées !)

Bien évidemment, ces principes sont intangibles, quasiment sacrés… mais sont-ils respectés ? La Loi de 1905 est-elle vraiment respectée ?
Et est-ce que cette loi n'organiserait-elle pas elle-même la violation des principes qu'elle édicte ?

L'article 19 confirme que les associations cultuelles « ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'État, des départements et des communes »
Mais le même article 19 précise que « les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu'ils soient ou non classés monuments historiques » « ne sont pas considérées comme subventions » !

L'article 24, pour sa part, exonère les édifices affectés à l'exercice du culte d'impôts foncier et autres et les associations cultuelles d'un certain nombre d'impôts et taxes ; exonérations qui s'ajoutent à celles issues de la Loi de 1901 à laquelle ces associations sont soumises.
L'article 19 prévoit également que, outre les cotisations et autres cas prévus par la Loi de 1901, les associations cultuelles pourront recevoir différents types de dons et legs, et même se subventionner mutuellement, et tout cela, évidemment, en total franchise fiscale.

Aujourd'hui, lorsque je verse, par exemple, 300€ à ma paroisse, j'obtiens une réduction d'impôts de 200€ (je dis 300€, mais j'aurais pu aller jusqu'à 20% de mes revenus annuels, la réduction d'impôts restant fixée aux 2/3 du montant versé).
En d'autres termes, lorsque je veux faire gagner 300€ à ma paroisse, alors je lui en donne 100, et le budget de l'État paye les 200 qui restent… le budget de l'État qui, c'est bien connu, ne subventionne ni ne salarie aucun culte…

L'État ne subventionne pas, il se contente de prendre à sa charge les 2/3 de ce que versent les fidèles, et aussi d'entretenir les cathédrales, les collectivités locales entretenant les autres édifices de culte.

Mais un édifice dit de culte ne sert pas qu'au culte, en fait.
Prenons l'exemple de la très moderne cathédrale d'Évry : l'État a payé pour la construction d'un musée (un musée d'art sacré, cela va de soi) et les collectivités locales tout le reste (ou presque) : en fin de compte, seule la salle de culte a vraiment été payée par des fonds privés (mais c'est vrai qu'elle est grande…).

Mais d'autres possibilités existent :
- les baux emphytéotiques : la collectivité publique achète le terrain, puis le loue à 1€ symbolique à une association cultuelle qui y fait construire un édifice de culte, qui appartient théoriquement au propriétaire du terrain (la collectivité publique) mais qui reste à disposition de l'association cultuelle (gratuitement, bien sûr) [des variantes sont à l'étude, telles que les « autorisations d'occupation temporaire (AOT) constitutives de droits » pour loger les gendarmes, par exemple… Gageons que lorsque ce sera au point, les associations cultuelles s'y engouffreront gaiement, et à nos frais !] ;
- les collectivités publiques ont également la possibilité d'offrir des garanties d'emprunts aux associations cultuelles, c'est-à-dire de se porter cautions, avec les risques que cela comporte, risques assumés par les contribuables.

Ces différents moyens ont permis de construire aux frais des contribuables français, sans distinction de religion, bien sûr, beaucoup d'églises catholiques (surtout dans les années 30), quelques synagogues (surtout dans les années 60), assez peu de temples protestants, et … aucune mosquée !

On comprend assez facilement que, maintenant, l'église majoritaire (l'ÉCAR) soit plutôt favorable au statu quo : elle a compris qu'elle y gagne.

Dans un premier temps, l'ÉCAR s'est opposée à la Loi de 1905…
Elle considérait qu'elle allait perdre son pouvoir et, surtout, ses biens ; il est vrai que les inventaires se sont assez mal passés, le sang a coulé et il y a même eu mort d'Homme.
Puis progressivement l'ÉCAR a réalisé ce que les trois autres (Israélites, Luthériens et Réformés) avaient compris tout de suite : l'État se retirait lui-même les moyens d'intervenir dans les affaires internes des églises, et la Loi de 1905 offrait surtout de garanties.
Dès après la 1ère guerre mondiale, tout en faisant mine de continuer à résister, l'ÉCAR a négocié avec la République, et a obtenu des facilités supplémentaires : notamment en 1924, la création des associations diocésaines qui ne respectent pas la Loi de 1901, et s'est donc désormais tout à fait légalement que l'ÉCAR contourne les aspects de la Loi de 1905 qui la dérangent…

Contrairement à ce que l'on entend souvent, la Loi de 1905 n'est pas une privatisation de la religion ; d'ailleurs, on a continué les prières officielles à la chambre des députés bien après 1905 !

La Loi de Séparation des églises (avec un petit « é ») et de l'État a juste organisé le passage du droit public au droit privé des établissements qui gèrent les cultes. Notons en passant qu'elle ne s'applique ni en Alsace, ni en Moselle, ni en Guyane, ni en Nouvelle-Calédonie, etc.
Dans d'autres régions, son application est parfois un combat récurrent : ainsi en Franche-Comté, dans les années 90 encore, tous les ans à la rentrée scolaire, une école était ciblée par les laïques pour obtenir à force de manifestations et autres actions, le décrochage des crucifix dans les classes (1 école par an ; je ne sais pas s'il en reste encore).
Mais depuis les événements de 2003-2004, notamment l'affaire dite « du voile », la plupart des intervenants considère la Loi de 1905 comme un moyen de stabilisation, une source d'équilibre… un équilibre précaire, certes, mais un équilibre dynamique, un outil qui pourrait permettre l'intégration de l'islam (par exemple) à la République, s'il n'y avait en charge de ces problèmes un Sarkozy, inventant et créant le CFCM comme Bonaparte, en son temps, avait inventé et créé le consistoire israélite central.
Et ce qui est possible pour l'islam (la Loi de 1905, pas Sarkozy) l'est aussi pour les autres religions présentes en France (le bouddhisme, l'hindouisme, et quelques autres).
C'est pourquoi le CéceF (conseil d'églises chrétiennes en France) qui rassemble les représentants officiels des églises catholiques romaine, orthodoxe, anglicane, arménienne, et protestantes, notamment celles membres de la FPF, s'est prononcée officiellement en faveur de la Loi de 1905 et contre sa révision, et également contre d'éventuelles lois d'exception telles une loi sur le voile, par exemple. (le 21/1/2003)

Aujourd'hui, très peu de gens désirent en fait une révision de la Loi de 1905 : Sarkozy bien sûr, quelques églises évangéliques particulièrement proches des USA, donc le pentagone aussi… et Jean-Arnold de Clermont !
JAC, président de la FPF, qui a pris la présidence du CéceF juste après que celui-ci se prononce contre la révision de la Loi de 1905… et bien JAC, lui, veut réviser maintenant ! Et il a même réussit à faire produire un texte dans ce sens à la FPF !

Que reproche-t-il à la Loi de 1905 ?
- tout d'abord, son lien avec la Loi de 1901 (lien auquel les catholiques romains ne sont pas soumis, il est vrai) c'est là un problème interne à certaines églises protestantes, notamment l'ÉRF : l'antagonisme entre les protestants laïques et les protestants cléricaux sur l'éligibilité des salariés de l'association (par exemple les pasteurs) incompatible avec la Loi de 1901 ;
- il y a aussi le problème de l'objet de l'association : les associations cultuelles ont un objet exclusivement cultuel, toutes les autres activités (culturelles, éducatives, sociales, humanitaires, etc.) sont gérées par d'autres associations ; il est étonnant que cela dérange le président de la FPF, puisque justement la FPF est organisée en deux collèges, le collège des églises (avec les associations cultuelles) et le collège des œuvres et mouvements (avec toutes les autres associations)... là encore, il s'agit de régler par la bande un problème interne à la FPF, le problème du pouvoir…
- les autres points sont liés aux avantages de fait dont bénéficie l'église majoritaire par rapport aux autres, mais une réelle application de la Loi de 1905 devrait améliorer tout cela.

Car le gros du problème est là : dans tous les domaines, les difficultés pourraient être levées par une bonne application de la Loi de 1905.

Puisque, paradoxalement à ce qu'elle affirme dans son article 2, la Loi de 1905 organise la reconnaissance par les pouvoirs publics des organisations cultuelles, arrêtons de n'en reconnaître que 4 (ou 3½) et appliquons la Loi à tous les cultes effectifs en France (la Loi de 1905 fixe même le quorum par commune pour créer une association cultuelle !).

Commençons donc par appliquer la Loi de 1905,

utilisons toute les possibilités qu'elle offre,
et nous verrons rapidement qu'il n'est pas utile de la modifier.
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire