21 mars 2015

Les fétichistes de la Vie.

Dans les nombreux débats qui parcourent la société sur des problèmes aussi variés que la violence, les accidents, la maladie, la politique pénale, la sexualité…
ou, pour être plus explicite, la chasse, la peine de mort, le suicide, l’euthanasie, l’avortement, la contraception, la procréation…
je suis souvent interpelé, voire dérangé, par l’utilisation du concept de Vie qui est faite par les uns ou par les autres, quelles que soient leurs opinions par ailleurs.

De manière générale, les uns et les autres semblent considérer que la Vie se limite absolument à la vie terrestre, même s’ils professent des croyances tout à fait différentes, et fort diversifiées,
et que cette vie terrestre serait un horizon sacré et incontournable, l’alpha et l’oméga de toute réflexion sociétale, sinon morale (ou éthique, si vous préférez…).

L’affirmation péremptoire d’une conception qui permet de bloquer tout débat au nom de la sacralité de la Vie…
argument (ou non-argument) qui peut être utilisé par les parties opposées au sein d’une même disputation…
le même argument pour défendre des opinions contraires.
Cela avait permis, en son temps, à Guy Bedos de commettre un sketch qui se concluait, un peu facilement, par : « Respect de la Vie, respect de la Vie… c’est les mêmes qui sont pour la peine de mort ! ».


De nombreux exemples sont disponibles, dans un très large éventail de sujets, pour montrer cette tendance,
le plus intéressants, parce que le plus complet, étant sans nul doute, l’encyclique « Evangelium vitae » (« l’Évangile de la Vie ») signée, il y a tout juste 20 ans, par le pape Jean-Paul II.
Cette encyclique reprenant un à un tous les thèmes concernés, et les jugeant tous à l’aulne de la sacralité de la Vie, enfin, d’une certaine conception de la Vie…

Conception de la Vie au nom de laquelle Jean-Paul II refuse point par point toute idée de régulation des naissances,
toute forme de contraception, tout prétexte d’avortement,
mais aussi toute assistance à la procréation,
puisqu’il ne faut pas forcer la Vie, ni dans un sens, ni dans l’autre…
Refus également de toute forme d’euthanasie, active ou passive,
ou d’assistance au suicide, et même du suicide lui-même…

Le texte se montre toutefois moins péremptoire sur la peine de mort…
sans doute pour ne pas décevoir Guy Bedos…

Je craignais toutefois, qu’en basant mon propos sur « Evangelium vitae », on me reproche de faire encore de l’anti-papisme primaire,
surtout que ce qui me gène, et dont je parlais en introduction, n’est pas spécifique à l’Église romaine, loin de là.

De plus, je ne souhaite pas lancer maintenant un n-ième débat sur les sujets cités plus haut,
ce qui me soucie aujourd’hui n’est pas l’un ou l’autre des ces thèmes éthico-sociétaux,
mais l’utilisation qui est faite de l’argument « la Vie ».


Et puis, ces derniers mois, un vieux débat a ressurgi,
d’abord en Allemagne, avec quelques déclarations de protestants « prominents » (comme ils disent), notamment Margot Kässmann et Nikolaus Schneider,
puis en France, avec un communiqué de l’ÉPUF, le 26 janvier, qui a évidemment alimenté le goût des protestants pour la polémique (pardon, la « disputatio »),
le fameux débat sur la fin de vie… soyons clairs, sur l’euthanasie.

Une proposition de loi, dite « Leonetti-Claeys », visant à faire évoluer l’ancienne loi, dite « Leonetti », sur la fin de vie, est mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale pour le 10 mars,
la veille, le journal « Le Monde » publie une tribune cosignée par les cléricaux en chef des 5 principales religions du Livre en France (catholiques romains, orthodoxes, protestants, israélites, musulmans).
Et les réactions ne se sont pas faite attendre…
surtout du coté protestant (ou plutôt, des cotés protestants).


Peut-on maintenant parler de la Vie,
de ce qu’elle est, de ce qu’elle vaut,
sans relancer le débat sur l’euthanasie ?
J’ai bien peur que non…

Une fois de plus, je ne souhaite pas lancer un n-ième débat sur l’euthanasie,
ce qui me soucie aujourd’hui n’est pas le contexte législatif,
mais l’utilisation qui est faite de l’argument « la Vie ».


Des théologiens nous disent que la Vie est un don de Dieu,
fort bien, mais de quelle vie s’agit-il ?
Si le don de Dieu en question n’est que la vie terrestre,
quid de la Vie éternelle dont parlent les mêmes ?

Et quand cette vie terrestre n’est qu’un chemin de souffrances,
est-ce vraiment là ce que nous appelons un don ?

On nous présente également la peine de mort comme la peine capitale,
c'est-à-dire la punition suprême…

Peut-on être chrétien, croire en la Vie éternelle,
et penser que le passage de la vie terrestre à la Vie éternelle soit une punition ?

Peut-on être athée, croire que la mort n’est que néant,
et penser que le passage de la souffrance au néant soit une punition ?

Si la mort est pire que la prison, pourquoi la prévention du suicide est-elle devenue le principal poste budgétaire de l’administration pénitentiaire ?

Je n’ai que deux petites expériences de la prison
(rassurez-vous, en tant que gardien, les deux fois)
et je ne vois pas comment on peut considérer que la commutation d’une peine de mort en peine de prison soit une chance pour le condamné… surtout à perpette.


Objectivement, que l’on croit à la Vie éternelle ou au Néant,
quand quelqu’un meurt, celui qui souffre,
c’est celui qui reste, pas celui qui meurt.


Beaucoup mettent l’accent sur l’aspect relationnel de la Vie,
quand un être est devenu incapable de toute communication, de toute interaction avec son environnement, peut-on encore le considérer comme vivant ?

Quand on ne peut pas se mouvoir seul,
quand on ne peut pas s’assoir seul,
quand on ne peut pas s’alimenter seul,
quand on ne peut pas respirer seul,
quand on est subordonné à une machine,
est-on vraiment vivant ?

Le communiqué de la FPF du 16 janvier 2014 s’intitulait « Vivant jusqu’à la mort »,
mais est-on vraiment vivant sous le seul prétexte qu’on n’est pas mort ?
Et ce titre ne laisse-t-il pas penser que pour la FPF il n’y aurait pas de Vie après la mort ?

Fin janvier 2015, Gilles Boucomont, pasteur de la paroisse du Marais à Paris,
a publié un texte en réaction au communiqué de l’ÉPUF du 26 janvier,
il a intitulé son texte : « C’est compliqué de faire simple… ».

Pour l’essentiel, le texte de Gilles Boucomont réagit à une phrase situé au tout début du communiqué de l’ÉPUF de 2015 :
« La vie, reçue de Dieu, prend sa pleine signification selon le cadre relationnel dans lequel elle s’inscrit ; elle n’est donc pas sacrée en soi. »

Il est intéressant de noter que, un an plus tôt, le communiqué de la FPF de 2014 se concluait par la phrase :
« Nous croyons que la vie est donnée par Dieu, qu’elle n’est pas sacrée en elle-même, et qu’elle prend sa pleine signification selon le cadre relationnel dans lequel elle s’inscrit. »

Alors, la Vie… sacrée ou pas sacrée ?
Un don de Dieu pourrait-il ne pas être sacré ?
Mais de quelle vie parle-t-on ?

Pour les chrétiens, et quelques autres, la Vie, avec un grand V, est un don de Dieu.
Mais cette Vie n’est pas sensée se limiter à la vie terrestre…
Et pourquoi donc la vie terrestre serait-elle sacrée ?
Faire de la vie terrestre une idole à adorer serait un pas vers le paganisme !


Hans Küng a écrit, dans les années 1990, que l’Homme a un droit à la mort lorsqu’il considère que, selon ses propres conceptions, sa vie n’est plus humaine.

L’Humanité aussi peut être considérée comme un don de Dieu…


La mort est généralement présentée comme la négation de la Vie…
et si elle en était, en fait, une composante essentielle ?

Ce qui ne meurt pas, ce qui reste stable, est dit inanimé.
Ce qui vit, c’est ce qui meurt.
En fait, c’est la mort qui définit la Vie.

Certains considèrent la mort comme étant devenue inutile et indésirable,
c’est du moins ce que Wikipédia présente comme l’une des considérations de base du transhumanisme.

Et si, finalement, la mort était plutôt la détermination de la Vie ?

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